Compte rendu de la conférence du
Jeudi 26 juin 2003
sur
DECLARATION, RECONNAISSANCE,
REPARATION DES AT-MP, CONSEQUENCES

Par le Dr Louis Linossier,
Organisateur de la séance


- le Professeur DOUTRELLOT, du service de pathologie professionnelle du CHU d’Amiens Sud,
- le Docteur FONTAINE, médecin conseil chef de la CPAM de Beauvais,
- le Le Dr Marie GRASER, médecin légiste au CHU d'Amiens.

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Drs Graser, Castel, Doutrellot, Méry et Fontaine

I ) L’arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation, du 2 avril 2003, est d’abord évoqué par Madame DOUTRELLOT, qui engage le débat ; cet arrêt a un caractère d’importance capitale, car il permet de mieux discerner ce qui peut relever de l’A.T de ce qui peut être imputé en maladie professionnelle ; en effet dans un arrêt de principe destiné à la plus large publication, la chambre sociale redéfinit le critère de soudaineté de l’évènement à l’origine de la lésion et abandonne le principe selon lequel la présomption d’imputabilité ne joue pas en cas de manifestation tardive de celle-ci.

Le jugement en cause a eu lieu à la suite de la plainte d’un veilleur de nuit d’un établissement accueillant des adultes handicapés, veilleur qui avait subi, en 1993 et 1994, pour les besoins de sa profession, la vaccination contre l’hépatite B telle qu’imposée par le code de la santé publique ; souffrant d’une sclérose en plaques dont il avait allégué que les premiers symptômes s’étaient manifestés peu après les injections vaccinales, il a demandé réparation au titre de la législation sur les AT.

Il fut débouté en cour d’appel au motif :
a) qu’il n’y avait pas caractérisation d’un événement accidentel à l’origine de la lésion invoquée,
b) que la seule exécution de la vaccination obligatoire ne peut être considérée comme un évènement accidentel en l’absence de circonstances particulières.

Il y avait donc exigence de soudaineté de la part de l’instance d’appel.

Mais la Chambre sociale conclut, se référant à l’article L 411-1 du code de la sécurité sociale :
« il résulte de ce texte que constitue un accident du travail un évènement ou une série d’évènements survenus à des dates certaines, par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci ».

La cour ne reprend pas le terme « d’accident » ou d’accidentel ; elle retient le terme d’événements ou de série d’événements en exigeant qu’ils soient survenus à une date certaine peu important, comme le soutenait le pourvoi, que la lésion ne devienne apparente qu’au terme d’une évolution dûe à son origine ; est pris, donc, en compte le fait que les différentes injections ont été ensemble à l’origine de la maladie. Le fait que ces injections aient été imposées en raison de l’activité professionnelle permet de conclure à l’existence d’un lien de causalité entre cette série d’évènements (les injections) et le travail (« par le fait ou à l’occasion du travail »).

Donc, désormais, la solution de la cour de cassation est susceptible de s’appliquer à toutes les hypothèses où une lésion corporelle a pour origine un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail.

Madame DOUTRELLOT nous parle ensuite des cas de contage de l’hépatite C chez des salariés, pour lesquels, hors vaccination existante d’ailleurs, les lésions seront réparées au titre de l’A.T, si il y a eu un fait accidentel avéré (piqûres par seringue contenant du sang contaminé, par exemple), ou au titre de la maladie professionnelle (M.P n° 76 des tableaux) si il n’y a pas eu de fait accidentel précisément défini dans le temps et dans l’espace.

Pour ce qui concerne la notion de délai de prise en charge, il faut un fait bien précis pour « aller » au CRRMP, et demander l’avis du médecin du travail pour requalifier la date de première constatation médicale ; on rappelle qu’un salarié dispose de 15 jours pour faire sa déclaration, mais le délai de forclusion est de 2 ans, et ce délai de 2 ans commence à partir du moment où le certificat médical initial, qui fait la relation entre pathologie et profession, est établi.

II ) Madame DOUTRELLOT nous présente ensuite « le canevas » des tableaux de MPI, avec leurs 3 colonnes, et nous indique des notions que l’on espère connes de tous, sur le caractère restrictif/ou non, par exemple, de la liste des travaux susceptibles de donner lieu à reconnaissance, sur l’importance, aussi, lors de la rédaction du certificat médical qui est annexé à la demande de reconnaissance de l’assuré (c’est lui seul qui fait une demande de reconnaissance, pas le médecin ), de bien caractériser avec précision et dans les termes du texte officiel, la pathologie en cause.

Après demande de reconnaissance, les caisses primaires s’assurent, au plan administratif, de la réalité de l’exposition au risque du salarié dans l’entreprise, en y envoyant un contrôleur, et en demandant son avis circonstancié au médecin du travail par lettre ; parallèlement, le service médical de la caisse va s’assurer que la pathologie, quant à elle, est bien en relation avec le travail effectué.

III) Pour nous interroger sur les modifications apportées récemment au tableau n° 42 (surdité provoquée par les bruits lésionnels), Madame DOUTRELLOT nous assure simplement avoir entendu dire que le seul changement important qui allait intervenir concernait le délai de prise en charge qui, de 1 an passerait à : « de 3 jours à 1 an ».

IV) La loi n° 93-121 du 27 janvier 1993, (concernant notamment les articles L 461-1 et L 461-8 du code de la sécurité sociale) retient ensuite l’attention de notre intervenante ; cette loi institue une nouvelle procédure de reconnaissance du caractère professionnel des maladie ; cela peut concerner :
- une pathologie figurant dans les tableaux, pour lesquelles une ou plusieurs conditions ne sont pas remplies,
- une maladie non désignée dans un tableau, si elle apparaît être essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime, peut être reconnue en MP, si elle peut entraîner le décès de la victime, OU UNE INCAPACITE PERMANENTE D’AU MOINS 25%, dans ce cas de reconnaissance, « hors tableau » la présomption d’origine tombe également, et le dossier présenté au CRRMP doit permettre d’apprécier l’existence d’un lien direct et essentiel entre l’activité professionnelle habituelle d’une part, et la maladie d’autre part.

En revanche, INSISTE Madame DOUTRELLOT, le CRRMP se prononcera toujours comme INCOMPETENT DANS LA CARACTERISATION d’une affection, et si il y a discussion dans ce domaine, il y aura recours à la CRA d’abord, au T.A.S.S ensuite, voire à l’expertise (ex « décret janvier 1959 » enfin.

Le CRRMP se prononce sur la réalité et l’importance, en intensité et en durée, de l’exposition au risque ; pour construire son opinion, il va notamment demander :
1) une enquête de la CPAM (notamment sur la durée de l’exposition) pour pouvoir quantifier l’exposition,
2) un avis du service de prévention de la CRAM,
3) l’avis de l’employeur,
4) l’avis du médecin du travail,
5) l’établissement de la liste des éléments médicaux de nature à caractériser le délai de prise en charge.

L’avis du médecin du travail est obligatoire dans la conviction du CRRMP, ainsi que le rapport du médecin conseil.
Le comité va également, et c’est important, tenter de découvrir l’existence, ou non, de facteurs de risques extraprofessionnels (on pense au tabagisme).
Le comité va réaliser des études biographiques pour asseoir son opinion dans les cas douteux, il est donc, normalement, dépendant des données acquises de la science à un jour donné.

Madame DOUTRELLOT insiste sur la nécessité de réaliser « impeccablement » les certificats médicaux initiaux.

Composition du CRRMP :
- le médecin conseil régional,
- un praticien hospitalier qualifié en MP,
- la présidence est assurée par le Professeur FRIMAT

Il y a un CRRMP commun au Nord Pas de Calais et à la Picardie, ce qui explique que Monsieur FAILLIE n’y figure pas, puisque c’est son homologue du Nord qui a le siège.
- 4 médecins conseils sont rapporteurs (+ 1 médecin conseil pour la MSA et 1 médecin conseil pour les Mines).

Le comité travaille beaucoup et ses réunions peuvent durer longtemps (une réunion tous les 15 jours en moyenne) ; elles se déroulent généralement dans l’ordre suivant :
- demande motivées de la victime,
- avis de l’ingénieur conseil de la CRAM,
- rapport de l’employeur décrivant le poste de travail,
- l’examen de l’avis motivé du médecin du travail
- le rapport du service médical de caisse (taux d’IPP).

Souvent, il n’y a pas d’avis motivé du médecin du travail, mais si cet avis existe, il a un « poids important » dans la balance de détermination de l’avis du CRRMP ; cet avis est adressé au comité sous pli confidentiel, et ne peut en principe être vu par l’employeur contestataire, qui a accès au dossier administratif mais il y a toujours la crainte, pour certains médecins, qu’en réalité l’employeur puisse « tomber » sur leur avis.

IMPORTANT : la victime peut saisir directement le CRRMP, mais en pratique, cela ralentit le cheminement de son dossier, c’est donc une démarche peu utile.

Les caisses ont un délai de 3 mois pour reconnaître une MPI, et ….un délai complémentaire possible de 3 mois de plus en cas de difficultés ; donc 6 mois au maximum ; si les délais ne sont pas respectés, la prise en compte est considérée effective.

Le médecin du travail, nous dit Catherine DOUTRELLOT, a un rôle essentiel à jouer dans la phase de CONSEIL AU SALARIE ; il est en quelque sorte son « avocat médical » pendant cette procédure, mais il doit aussi savoir dépister les recours abusifs.

Les centres de consultation de pathologie professionnelles :

Madame DOUTRELLOT anime celui d’Amiens, et nous explique qu’une partie de son financement provient de la CNAM via la CRAM ; les transports des salariés au CHU ne sont plus pris en charge financièrement. Outre son rôle d’expertise médicale, le service de CPP a un rôle :
1) de maintien de la vigilance sanitaire dans le domaine professionnel,
2) de réalisation d’actions de prévention.

V ) l’article L461-6 du code de la sécurité sociale ( ex art. L 500) a pour but « d’élargir » la liste des tableaux ; ce but n’est pas atteint… Le Docteur FAILLIE nous indique que certaines régions les déclarent bien (pays de Loire) (allergie, pathologie psychiatrique) ; il y en a eu 110 l’année dernière ; il ne faut pas hésiter à interpeller le MIR sur cet aspect de
l’article L461-6.

VI ) L’observatoire national des asthmes professionnels existe ! et permet :
1) de dépister les situations à risques,
2) de différencier l’origine professionnelle de la déclaration et de la reconnaissance en MPI,
3) il y a trop peu de déclarations.

VII ) Il y a une augmentation très forte des déclarations de MPI en France
(mais est ce imputable à une augmentation de leur reconnaissance et de leur caractérisation ?) Il y a aussi une augmentation des décès dûs aux MP.
1994 : 7 500
2000 : 20 694
Depuis le 21 avril 2002, on est passé à 25 % en IPP au lieu de 66% ;
Il y a eu 6000 dossiers instruits en France par les CRRMP en 2002 ; le résultat des délibérations est donné dans les 15 jours.

VIII ) Questions libres de l’assemblée du Gemto :
D’aucuns s’interrogent sur le fait qu’il est souvent plus « avantageux » à « lésion égale » d’avoir été victime d’un accident ou d’une maladie de « droit commun » que d’un problème professionnel ; cette assertion semble rejetée par nos intervenants, pourtant ne risque t’on pas d’être tenté de « laisser un salarié en maladie » parce qu’il bénéficie des avantages inhérents à la reconnaissance d’une qualité d’invalide, plutôt que de le laisser être « réparé » forfaitairement dans le cadre « AT. MP » ?.
C’est à la victime, nous dit-on, de voir où est son intérêt.

IX ) Présentation de l’étude du Gemto sur le travail de nuit, par B MERY
A partir du 1er septembre, le questionnaire, qui a été « validé » par le laboratoire d’anthropologie sociale de Paris VI, sera proposé à tous les praticiens de l’Oise, pour tenir lieu de « 2nde visite » ; le Dr FAILLIE approuve.

B. MERY rappelle les définitions légales du travail de nuit, explique que la durée de l’étude se fera sur 1 an, et confirme qu’un échantillon de 200 femmes devrait suffire avec appariement aux hommes.

Le Dr FAILLIE confirme la bonne qualité du projet et se propose de fournir ce questionnaire à tous les inspecteurs du travail. Enfin, l’on rappelle que dans les entreprises de plus de 50 salariés l’implication du CHSCT est, bien sûr obligatoire.
Le questionnaire est visible sur le site du Gemto.

X ) Mademoiselle CASTEL, interne en médecine du travail à Amiens, nous parle des résultats de son étude sur les MPI dans la Picardie, en 2002 ; le taux global, pour l’Oise, de rejet de demandes de reconnaissance est de 17,86 %, soit 59 rejets sur 332 demandes.

XI ) Madame Marie GRASER, médecin du travail, médecin légiste, en cours de médaille d’or au CHU d’Amiens, nous livre ensuite ses réflexions sur la faute inexcusable de l’employeur (cf. diaporama sur ce site).
En gros, la réparation des AT.MP se fait toujours , en droit de la sécurité sociale, selon un mode forfaitaire, sauf :
- en cas de faute intentionnelle de l’employeur (ou du salarié…),
- en cas de faute inexcusable de l’employeur ou de ses délégués (la délégation de pouvoir nécessite d’ailleurs l’investiture écrite du chef d’entreprise).

Les voies de recours : CPAM->CRA->TASS->COUR D’APPEL puis éventuelle COUR DE CASSATION

Pour ce qui a trait à la réparation intégrale, vers laquelle on semble s’acheminer, Mme GRASER nous explique qu’il y a au plus haut niveau, des groupes de travail qui étudient les aspects tant juridiques que financiers de cette « révolution », et que la cour des comptes a publié un rapport sur le sujet.

Dès qu’il y a demande de reconnaissance de l’existence d’une faute inexcusable de la part de l’employeur, la caisse tente toujours, et en première instance, de réaliser une conciliation entre l’entreprise et la victime.
Le médecin conseil ne quantifie jamais le préjudice moral.

Pour ce qui a trait, enfin, aux recours jugés abusifs de la part des salariés, il nous est signifié que ce sont des cas rares.

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La séance se termine par des remerciements chaleureux adressés à nos quatre intervenantes, et le Président clôt la séance à 17 h 35

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Cette réunion a eu lieu à

La Mairie de Villers Saint Paul

Elle était organisée par le Dr Louis Linossier