Intervention résumée
à la réunion du GEMTO
consacrée à la santé mentale le 18/06/02
Maladies mentales et approche ethnopsychiatrique
par M. Charlemagne
Simplice Moukouta
Docteur en psychopathologie clinique
Psychothérapeute à l'Hôpital Philippe Pinel
Maître de Conférences à l'Université de Picardie
Jules Verne, Amiens
Une des réalités les plus frappantes
de la psychiatrie contemporaine en Occident est le grand nombre de modèles
de soins qui sont en principe à la disposition des praticiens. A
l'intérieur même de la société occidentale, ces
modèles ont connu des variations considérables selon les époques.
Si les médecins des XVIIè siècle et XVIIIè siècle
se sont posé de savantes questions sur les causes et la classification
des maladies de l'esprit, on peut considérer que jusqu'à la
fin du XVIIIè siècle la folie n'était guère
médicalisée.
Cette médicalisation, commencée au début du XIXè siècle, n'a pas fait que s'accentuer par la suite et pris une allure quelque peu exclusive et intolérante dans la mesure où, dans son zèle unificateur, elle a rejeté, comme autant de manifestations d'un obscurantisme dépassé, toutes les pratiques ayant une connotation magique ou religieuse. En rejetant le recours aux causes surnaturelles, champ de l'irrationnel, la perspective médicale a concentré la recherche de l étiologie au niveau de l'individu et de son ascendance, par le biais des théories sur l'hérédité. Un véritable cercle vicieux s'est alors mis en place, l'évolution de la société vers les structures de plus en plus individualisées accentuant l'isolement du sujet, et cet isolement offrant un terrain favorable à l'application du modèle médical. Les divers essais qui, depuis les années 1950, ont tenté d'éviter de couper le patient de son environnement familial et social, ont rencontré difficultés et obstacles et se sont souvent soldés par des échecs que l'on peut interpréter, au moins en partie, à la lumière de l'idéologie individualiste largement prévalente en Occident. A l'inverse, dans la plupart des sociétés non occidentales, le cas de l'Afrique noire par exemple, les traitements proposés s'adressent autant à l'entourage qu'au patient lui-même ; on a affaire dans ce cas à des modèles de soins centrés non sur la mise à jour et la résolution des conflits intra-psychiques, mais sur la réduction des tensions à l'intérieur du groupe élargi auquel le patient appartient. On comprend dés lors que cette spécificité de modèles de soins et des représentations qui les fondent rend problématique la prise en charge " standard " préconisée par la médecine occidentale. Au cur des représentations des maladies mentales et des
modalités de soins, on trouve une notion absolument centrale, présente
dans toute l'Afrique, la sorcellerie, qui signe l'extériorité
du mal, et qui illustre la nécessité de prendre en compte
les intentions et l'action du tiers persécuteur. Car ce n'est point,
comme en Occident, à l'intérieur de l'individu, auto fondateur,
autosuffisant et presque auto-engendré que l'on cherche l'origine
des tourments qui l'accablent ; c'est dans l'action d'un autre malveillant
qui, en s'attaquant à la substance même de l'être le
fait " tomber "malade. Et cette croyance, très vivace
en Afrique, est partagée par l'ensemble du groupe, même par
ceux que leur formation a à priori éloignés des croyances
traditionnelles. Car ce qui est recherché, c'est avant tout la reconstruction du
lien social entre le malade et son entourage. De même, ce qui est
recherché auprès du tradithérapeute, c'est une parole
pleine, qui signe la connaissance de l'univers traditionnel et qui assure
le lien avec le monde des symboles qui sont source de vie et d' harmonie. -Y aurait t-il une logique interne à chaque culture, une cohérence à partir de laquelle tout écart pourrait être considéré comme une déviance, voir un mal mental ? -Peut-on, à l'heure actuelle prendre en charge sur le plan thérapeutique un malade mental en situation d'immigration et occulter toutes les croyances fondatrices de sa personnalité de base ? |