HARCELEMENT MORAL AU TRAVAIL

REUNION DU 30 NOVEMBRE 2000
Lieu : Beauvais, maison des entreprises
Coordonnateur : Dr Philippe FAILLIE

PLAN
1. La relation harcelé/harceleur.
2. Le harcèlement, un " phénomène de mode " ?
3. Définir le harcèlement moral.



1. Le harcèlement moral

A la fois la rencontre entre l'agresseur, dit le harceleur, le bourreau, et la victime, dite le harcelé relève du hasard et à la fois l'agresseur a des intentions malveillantes.

L'agresseur choisit sa proie souvent par facilité. Souvent il s'agit du nouveau, d'un témoin de " l'ancien régime " (cas de changement de gérance).

C'est souvent sur des attitudes de la victime donnant de " mauvaises " impressions, des propos tenus sans mesure que l'agresseur va nourrir sa haine.

La victime est souvent surchargée de travail ou travaille " sous pression ".

Si l'agresseur ne trouve pas de victime, il en cherchera une autre.

A. L'agression :

Elle est faite d'actes multiples et contradictoires ayant pour effet de déstabiliser la victime. Les plus fréquemment retrouvées sont dans notre expérience :
· Un face à face dans une atmosphère en huit clos ;
· La violence physique, aussi bien l'effleurement du vêtement que la projection de boulons ou de téléphone portable.
· des basses brimades, par exemple la suppression du téléphone pour un agent commercial, l'interdiction faite à une secrétaire de se déplacer ;
· la mise en cause des compétences professionnelles de la personne harcelée marquée par :
- des fautes fantaisistes, construites de toutes pièces par exemple en mettant des aliments avariés dans les rayonnages sous la responsabilité de la victime ;
- la disparition de l'identité professionnelle de la victime des documents de l'entreprise (organigramme, …) ;
- des sanctions écrites (le grand classique étant la sanction pour ne
pas avoir reçu l'arrêt de travail de la victime) ;
· le discrédit de l'intéressé vis à vis de témoins qui peuvent être tout aussi bien des clients que des compagnons de travail, par exemple en l'affublant d'un surnom " bien " choisi ;
· l'acculement à la faute professionnelle,
en lui faisant faire ce qu'il ne faut pas ;
en faisant entre apercevoir à la victime le manque d'avenir ;
· L'agresseur cherche à supprimer au fur et à mesure toutes preuves de son comportement parfois allant jusqu'à fouiller dans le placard personnel de la victime ;
· les humiliations pleuvent et on en lui confie des tâches inutiles et dégradantes, par exemple un ouvrier qualifié nettoie les WC, reste après les autres pour laver un plan de travail, monte des charges lourdes au 3é étage sans ascenseur ;

· l'affirmation paradoxale par l'agresseur de sa supériorité qui clame :
" je suis le patron ", " je veux que … "
· la poursuite de le la victime par le harceleur en dehors du lieu de travail
( la victime ne trouvant pas de répit), que ce soit,
- au domicile, la porte lui étant souvent ouverte par la victime,
- par appels téléphoniques incessants.

L'agression est permanente, continuelle, usante, durant des mois, des années.

En fait les relations au travail de ces 10 dernières années sont remplies de sous-entendus de la sorte ; Mais ils arrivent ici par " avalanche " sur la victime. Ce qui est important de noter, c'est la cohérence entre les faits et l'atteinte à la santé de la victime.

Pourquoi ce harcèlement ? par perversion,
par incapacité à gérer un rapport de force,
par sentiment d'être fragile, incompétent …
En fait il est irréaliste de retrouver le dominé dominant et inversement
La faute à qui : au système économique ? à l'entreprise ?
à la société violente ? aux nouvelles technologies ?


B. L'agressé
(forme clinique typique)
1er stade :
L'agresseur fait " un coup pour voir ".
La victime en règle s'en aperçoit, et réagit intuitivement en se taisant.
Elle a tout intérêt à faire pourtant " comme si de rien n'était ".
Son salut réside avant tout dans la disparition momentanée du champ de regard de l'agresseur pour se repositionner ensuite, ce qui n'est pas toujours aisé.

2e stade : (cliniquement caractérisé)
La victime connaît une réaction intense de stress
son sommeil est entrecoupé de cauchemars ;
elle peut présenter des troubles digestifs ;
sa mémoire est mise en défaut ;
son attention n'est plus la même et il perd souvent des objets tels la carte bleue ;
Elle peut être loquasse ou au contraire quasiment paralysée.
….
Cette réaction est physiologique ; elle est à regarder comme salutaire :
La victime se rend encore compte de ce qui se passe ;
La vérité ne lui sera jamais aussi proche ;
Elle cherche des alliés, d'abord dans son entourage familial et les amis.

Conduite à tenir à ce stade
La victime ne doit pas démissionner du travail ; Elle a tout intérêt à relever, à faire constater des faits aberrants, déplacés, ridicules.
Le rôle du médecin du travail de l'entreprise est essentiel :
L'inaptitude médicale au poste de travail n'est pas une solution objectivement utile.
Le praticien écoutera tout en faisant " la part des choses " ; Mais c'est souvent dans des rencontres de praticiens différents au courant des problématiques d'entreprise et d'horizons variés que la victime arrive à relativiser son problème.
Le suivi médical est étroit laissant aussi une place à la demande de la victime.
La victime a tendance à déformer les propos de chacun et à soupçonner tout le monde.
Il est bien d'apprendre à la victime comment résister à l'agresseur (résilience)
La déclaration au titre de l'accident du travail est envisageable.
Le traitement sédatif n'a d'intérêt sur une courte période que pour faciliter le sommeil.
La victime répondra à toute lettre d'avertissement de l'agresseur.
C'est à ce moment-là que porter plainte semble vraiment pour la victime avoir un intérêt.

3ème stade :
(La victime peut ne pas connaître le stade n°3)
Le harcelé plonge dans un état souvent qualifié de " dépressif ",
en général rapidement,
d'autant que l'agresseur " appuie là où ça fait mal ", y laissant son empreinte.
La victime est de moins en moins capable de s'ouvrir au monde des autres.
Toute gaieté s'éteint en elle.
Des céphalées en barre frontale sont fréquemment retrouvées ; ils peuvent être accompagnés de signes tels que diarrhée franche, douleurs abdominales pseudo-ulcèreuses, amaigrissement massif (maigrir de 15Kg en 6 mois n'est pas exceptionnel)
La victime n'est plus en état de vaquer seule à des occupations familières telles le jardinage, le bricolage, … les proches font ici ce qu'ils peuvent …
Elle n'a plus confiance en personne hormis les animaux, seuls capables de donner des signes d'affection.
Elle refuse de passer à pied, en voiture devant le lieu de souffrance qu'est le lieu de travail par phobie d'évitement.
Sa vie est envahie dans tous ses instants par les événements professionnels qui sont ruminés, ressassés sans cesse à table lors des réunions familiales, lors de rencontres avec les amis, dans la solitude.
La victime s'engage très facilement dans la voie échappatoire du suicide (parfois sous le couvert d'un accident de voiture)
La sortie de cet état sera lente sur des mois voir des années, pouvant être assimilée à un syndrome post-traumatique au sens du DSM IV.

Autres formes cliniques :
Forme marquée par l'importance des signes psychosomatiques,
Forme délirante,
Forme obsessionnelle,
Etat maniaco-dépressif typique.

L'amélioration de la santé est plus facile si :
· rupture du contrat de travail liant la victime à l'employeur.
· garantie des revenus jugés suffisants par la victime,
· accès en formation professionnelle,
(intérêt d'une reconnaissance en tant que TH pour une durée limitée),
· déclaration de l'affection en en maladie professionnelle,
· vision non culpabilisante du phénomène du chômage.

Conduite à tenir :
La psychothérapie (intérêt du travail sur vidéo) s'inscrit dans la durée.
Les traitements psychotropes sont nécessaires, parfois à fortes doses.
Le contact avec des animaux (pratique du cheval),
Les thérapies systémiques,
Les pratiques sophrologiques sont bénéfiques.
La mise en cause de l'agresseur est rarement possible.


2. Le Harcèlement Moral, un phénomène de mode ?

3. Définir le harcèlement moral
Pour résumer, il y a classiquement 2 définitions :

- La définition du docteur MF HIRIGOYEN :
" Toute conduite abusive se manifestant notamment par des comportements, des gestes, des actes, des paroles, des écrits, pouvant porter atteinte à la personnalité, la dignité ou l'intégrité physique ou psychique d'une personne, mettre en péril l'emploi de celle-ci ou dégrader le climat social de travail."

- La définition de M. DRIDA, présidente de l'association " Maux pour Mots au travail" :
" Une souffrance imposée sur le lieu de travail de façon durable, répétitive et/ou systématique par une ou des personnes à une autre personne, par tous les moyens relatifs aux relations, à l'organisation, aux contenus et aux conditions de travail, en les détournant de leur finalité, manifestant ainsi une intention consciente ou inconsciente de nuire voir de détruire."


Ces 2 définitions traduisent littéralement le double sens du mot harcelé :
· Harceler (en vieux français) signifie tourmenter, ça vient de herser ;
· Harassment (en anglais) fait partie du langage militaire (troupe, ennemi, foule) ; Il désigne quelqu'un de harcelé, tourmenté, surmené. Il renvoie à la notion d'attaque, d'écrasement d'un groupe sur un seul, à la logique de stress, à la stratégie d'éradication ou de capitulation.

Au total, en l'absence de définition juridique, les deux définitions de HM ont cours.
Mais ce qui compte pour nous, c'est constamment son caractère impensable, intolérable, inacceptable à l'égard de la dignité humaine
.