Champs électriques et magnétiques de fréquence 50- 60 Hz
Bilan des connaissances

Dr Jacques LAMBROZO
Service des Etudes Médicales, EDF-GDF

«  Dans la vie,rien n’est à craindre, tout est à comprendre » Marie Curie

Si les effets réels ou supposé du magnétisme, comme phénomène paranormal, ont été étudiés de longue date, par exemple par Paracelse au XVe siècle ou par Franz Mesmer au XVIIIe siècle, il faut attendre le XIXe siècle pour que les premiers travaux sérieux voient le jour. Ce n’est que près d’un siècle après que l’électricité est devenue un produit industriel de très grande diffusion que les premières questions émergent sur les effets délétères éventuels des champs électriques et magnétiques générés par le courant électrique.

La publication, en 1979, d’une première étude épidémiologique associant l’exposition aux champs magnétiques de très basse fréquence et l’apparition de certains cancers chez l’enfant, va être le point de départ d’une importante activité scientifique, largement relayée par les médias.

En parallèle avec les travaux épidémiologiques, des études in vitro et in vivo, chez l’animal et chez l’homme, vont explorer les modalités de l’interaction onde-vivant, en portant une attention particulière, mais non exclusive, sur les mécanismes de cancérogénèse. 

l. Données Physiques

Le courant électrique de fréquence 50 Hz en Europe (60 Hz aux Etats-Unis) génère deux types de champs, oscillant à la même fréquence :

-     un champ électrique qui est proportionnel à la tension appliquée. Son intensité se mesure en Volt par mètre (V/m). Ce champ électrique est arrêté par toutes sortes d'obstacles selon le principe de la cage de Faraday (constructions en béton armé, toiture métallique, et même constructions traditionnelles du fait de la présence de conduites métalliques de gaz ou d'eau). Il diminue rapidement quand on s'éloigne de la source.

-     un champ magnétique lié au déplacement des charges électriques. Il est proportionnel à l'intensité du courant. Sa densité se mesure en Tesla (T), le Gauss (G) qui est l'ancienne unité continue parfois d'être utilisé aux Etats-Unis.

1 G    =  10-4T l mG   =  0,1µT

Comme le champ électrique, le champ magnétique diminue très rapidement quand on s'éloigne de la source, comme l’inverse  du carré de la distance quand il s’agit de conducteurs ou comme l’inverse du cube de la distance lorsqu’il s’agit d’un appareil électrique.

Ces champs sont partie intégrante  des rayonnements électromagnétiques dont la gamme de fréquence s'étend de 0 à 1024 Hz. Les fréquences 50 et 60 Hz font partie de la gamme des "extrêmement basses fréquences" (Extremely Low Frequency : ELF) qui s'échelonnent de 0 Hz jusqu'à 300 Hz.

Les sources de CEM sont très nombreuses et dans nos sociétés l’exposition est quasiment ubiquitaire.

Il existe des sources naturelles.  Le champ magnétique terrestre  varie de30 à 60 µT selon la latitude. Il s'agit d'un champ statique qui permet l'usage de la boussole ou celui des aimants. Le champ électrique créé par les charges électriques contenues dans l’ionosphère varie de 100 à 150 volts /m, mais par temps orageux  où les nuages contiennent une grande quantité de charges électriques il peut atteindre jusqu'à 150 kV/m. C’est cette intensité qui est le critère annonçant la chute de la foudre.

Les sources de champ sinusoïdal sont constituées par les installations électriques : lignes de transport et de distribution, transformateurs, câbles électriques des habitations, appareils électroménagers (téléviseurs, grille-pain, rasoirs...), appareils d'éclairage et, d'une manière générale, tout appareil produisant ou utilisant de l'électricité (alternateur de voiture, appareils de bricolage, photocopieur...).

Les tableaux 1 et 2 présentent quelques valeurs d'exposition courante.

Tableau n° 1

Installations domestiques

Induction magnétique (µT)

Distance

3 cm

30 cm

1 m

Télévision

30

4

0,1

Batteur électrique

50

1

0,05

Perceuse électrique

800

3

0,1

Rasoir électrique

1000

5

0,2

Couverture électrique

10 à 20

1

 

Mesure des champs

Tableau n° 2 : Valeurs habituellement rencontrées à proximité des lignes de transport de l'électricité.

Valeur des champs

Induction magnétique (µT)

Champ électrique (kV/m)

Tension des lignes

Sous les conducteurs

A 30 m de l’axe

A 100 m de l’axe

Sous les conducteurs

A 30 m de l’axe

A 100 m de l’axe

400 kV

30

12

1

6

2

< 0,2

225 kV

20

3

0,3

4

0,4

 

HT

(63 et 90 kV)

10

1

 

1

   

NB: les valeurs de champs électriques et magnétiques ne sont pas modifiées par la pluie et le brouillard.

L'exposition aux CEM concerne donc, à l’heure actuelle, tout un chacun dans sa vie quotidienne.

L'exposition moyenne en Europe au champ magnétique à l'intérieur d'une habitation est estimée à 0,1 µT. I1 s’agit d'une sorte de "bruit de fond", qui peut connaître des variations notables selon l'usage des différents appareils électroménagers.  Elle est généralement plus importante en Amérique du nord en raison du mode de mise à la terre des habitations. L'exposition est également plus importante pour les personnes professionnellement exposées (industries de l'aluminium, soudure, électriciens travaillant sur des conducteurs sous tension...).

2. Les données des études expérimentales

·     ADN

Nombre d'agents physiques cancérogènes (ultraviolets, radiations ionisantes) étant mutagènes, les champs électriques et magnétiques ont donc été étudiés sous cet angle. La majorité des publications n'ont pas mis en évidence d'effet génotoxique à des niveaux d'exposition atteignant 50 kV/m ou 1000 µT. Il a ainsi été montré qu'une exposition de lymphocytes humains à des champs électriques et magnétiques ne pouvait ni altérer l'ADN ni même modifier les propriétés physiologiques de réparation, alors même que l'exposition était maintenue.

Cette caractéristique oppose les champs aux rayonnements ionisants dont l'effet mutagène est démontré. D'ailleurs l'énergie photonique développée par les champs est de 2,5. 10-13 eV, soit 1014 fois inférieure à l'énergie nécessaire pour rompre les liaisons covalentes de l'ADN.

·     ARN

Les autres travaux ont recherché un effet de promotion tumorale[1]. Pour aboutir à la synthèse de protéines qualitativement et quantitativement normales, le code génétique porté par l'ADN est transcrit par  un ARN messager qui transmet (par le biais d'un ARN de transfert) l'information aux ribosomes intracellulaires en charge de la synthèse protéique. L'ensemble de ces opérations représente l'expression génique. Le processus tumoral caractérisé par une prolifération cellulaire non régulée, dépend (au moins) de deux types de mutations. L'une transformant un proto-oncogène en oncogène aboutit à "un gène stimulateur hyperactif", l'autre passe par l'inhibition d'un gène suppresseur de tumeur.

Les premiers travaux avaient montré une augmentation de l'expression de certains proto-oncogènes comme c-myc, mais les tentatives de réplication, suivant un protocole expérimental des plus rigoureux, n'ont pas confirmé ces premiers travaux. A ce jour il n'est pas démontré que l'expression génique puisse être modifiée par l'exposition aux champs électriques ou magnétiques.

·     Croissance cellulaire

Les résultats publiés sont contradictoires. Si certaines études ont retrouvé une augmentation de la prolifération cellulaire, sous des niveaux de champ magnétique atteignant 1000 µT, la plupart des travaux, utilisant plusieurs modèles cellulaires différents (dont des cellules souches hématopoïétiques) n'ont retrouvé aucun effet facilitateur pour une exposition  de l’ordre de 100 µT.

L'ornithine décarboxylase (ODC) est une enzyme catalysant la conversion d'ornithine en putrescine, l'une des polyamines indispensables à la croissance cellulaire. La prolifération cellulaire s'accompagne d'une augmentation de son activité et de la concentration intracellulaire des polyamines. Les facteurs de croissance et les promoteurs tumoraux génèrent aussi une induction de l'activité de l'ODC. Une augmentation de l'activité de l'ODC sur des cellules exposées serait donc un marqueur d'activité et de prolifération cellulaire accrue, comme cela est le cas pour le Tri Phorbol Ester  qui en multiplie le taux par un facteur 1000.

Des travaux menés sur des cellules tumorales ont retrouvé une induction modeste de 1,4 fois, le taux basal, et transitoire : l'effet disparaît alors que l'exposition (1V/m) est maintenue. Sous champ magnétique des résultats analogues ont été observés pour des niveaux variant entre 100 et 500 µT.

·     Signaux cellulaires

La réponse cellulaire à un stimulus extérieur physique ou chimique est déterminée par la transmission et l'amplification du message à partir de l'activation de récepteurs membranaires entraînant, après une série complexe de réactions, la mise en jeu de messagers intracellulaires.

Avec l'Amp cyclique, et la Protéine kinase C, les ions calcium sont l'un des messagers les plus importants et les plus étudiés pour leur interaction avec les champs.

La concentration du calcium cytosolique (intracellulaire) qui est en moyenne de 10-7 M, peut varier sous l'effet d’une modification de son passage à travers les canaux calciques voltage - dépendants de la membrane cellulaire, ou d’une libération accrue par les organites de stockage comme le reticulum endoplasmique. Les modifications des concentrations ou des cinétiques peuvent être responsables d'une altération des mécanismes de régulation de la division cellulaire et par là, de la croissance cellulaire.

Les premiers travaux sur des tissus nerveux, sous champ électrique, montrant un passage accru trans-membranaire, avec un "effet-fenêtre" portant à la fois sur la fréquence et l'intensité, n'ont pas ensuite été confirmés. Sous un champ magnétique de 22 mT a été rapportée une modification du transport trans-membranaire, la densité de courant induit étant de 160 mA/m².

Vis à vis des variations de la concentration intra cytosolique de calcium, une expérimentation avait montré sur des cellules leucémiques (cellules Jurkat), une élévation des  concentrations, plus importante à la fréquence 50 Hz, avec un seuil d'apparition à 0,04 mT et un plateau à 0,15 mT. L'interprétation de ces résultats est complexe car des fluctuations physiologiques des taux de calcium intra cytosolique  peuvent donner le change. De plus, ce travail n’a pas pu être répliqué.

Récemment sur un modèle expérimental original , des îlots de Langerhans  où les oscillations des concentrations de calcium sont très régulières, l’application d’un champ sinusoïdal de 0,1 puis de 1mT n’a pas entraîné de modifications des oscillations physiologiques.

·        Quel rôle pour les  cristaux de magnétite ( Fe304) ?

La présence de ces cristaux fortement magnétiques, sous forme de particules microscopiques, a été démontrée dans plusieurs espèces (bactéries magnétostatiques, abeilles, vertébrés supérieurs) et aussi dans le cerveau de l’homme, mais seulement dans 0,1 p. 100 des cellules. Ils pourraient interagir avec un champ magnétique et rendre compte d’effets biologiques induits par des champs de faible intensité. Cependant, à ce jour, aucun travail n’a fait état d’une telle interaction avec un système biologique.

En résumé, il est difficile de trouver un fil conducteur parmi les nombreux travaux sur les effets in vitro. A ce jour, aucun  effet biologique n’a été démontré de manière reproductible et convaincante aux niveaux d’exposition résidentiels ou professionnels habituels. Les effets décrits, qui n’impliquent pas nécessairement d’effet délétère pour la santé et qui méritent réplication, ont été observés à des valeurs de champ ou de courant induit dépassant de plus de 100 à 1 000 fois les niveaux habituels.

3. Champs électriques et magnétiques et expérimentation animale

·     Reproduction et tératogenèse

-     Une quinzaine d'études portant sur des rongeurs, modèle classique, ont pris en compte une exposition au champ électrique pouvant atteindre 150 kV/m. (valeur bien supérieure au seuil de perception du champ par le rat qui varie entre 2 et 12 kV/m). Les résultats sont caractérisés par la rareté et l'inconsistance des effets observés qu'il est difficile d'attribuer à une action directe du champ. Les conditions "d'hébergement" et d'entretien de l'animalerie paraissent des points particulièrement critiques, dans l'interprétation des résultats (présence de courants induits dans le système d'alimentation en nourriture et en eau).

-     Les études menées avec différents niveaux de champ magnétique de 0,2µT à 20mT en exposition prénatale, n'ont pas montré d'incidence supérieure des malformations ( J Juutilainen). Chez la souris mâle, la recherche d'anomalies de la spermatogenèse sous exposition à un champ de 10 mT s'est aussi négative. Ces résultats, négatifs, sont corroborés par l'absence d'effet mutagène et génotoxique in vitro, et par les études épidémiologiques qui n’ont  pas retrouvé de corrélation entre exposition aux champs électromagnétiques et survenue d'un retard de croissance intra-utérin, d'anomalies congénitales ou d'une réduction de la fertilité masculine aux niveaux habituels d'exposition environnementale.

·     Cancérogenèse

Les données de biologie moléculaire ne plaident pas en faveur d'un mécanisme génotoxique, donc d'un effet initiateur.

Trois grandes études ( Mandeville, Mac Cormick et Kasui) n’ont retrouvé aucune  différence significative quant à l'induction de tumeurs  chez plusieurs centaines de rats exposés  pendant au moins 24 mois à des niveaux de CM pouvant atteindre 2000µT, vis à vis des témoins.

Les autres études ont recherché un effet promoteur (où un cancer est induit par un agent physique ou chimique et l'exposition au champ intervient dans un second temps), appréciant la progression et/ou le nombre de tumeurs induites dans le groupe exposé par rapport aux témoins. Certaines sont aussi menées en co-promotion : l'exposition au champ est couplée avec un agent chimique connu pour ses propriétés de co-carcinogène. A ce jour, une vingtaine d'études de ce type ont été publiées. Elles portent sur des tumeurs diverses : cutanées, hépatiques, cérébrales, mammaires mais aussi leucémies et lymphomes. Les résultats, dans l'ensemble non concluants, sont étroitement dépendants des modèles choisis ainsi que des critères de positivité retenus. En particulier, les premières études montrant un effet de promotion des tumeurs mammaires n'ont pas été confirmées par des réplications ultérieures dans d’autres laboratoires.

·     Mélatonine

La mélatonine est une neuro hormone essentiellement synthétisée par la glande pinéale (épiphyse) à partir du tryptophane. Elle intervient physiologiquement comme "l'expression chimique de l'obscurité", en informant l’organisme de la photopériode , lui permettant ainsi de vivre en harmonie avec l'environnement.

Sécrétée pendant la nuit, dans l'obscurité, elle est inhibée par l'exposition à la lumière (500 lux peuvent suffire à induire cette inhibition). A l'image de ce qui est obtenu par la lumière visible, onde électromagnétique de longueur d'onde variant entre 400 et 780 nm, les champs électromagnétiques, dont la longueur d'onde est de près de 5000 km, pourraient-ils aussi inhiber cette hormone ? La mélatonine est expérimentalement dotée de propriétés antigonadotropes (elle inhibe les hormones hypothalamo-hypophysaires contrôlant la libération d'oestrogènes), d'une activité oncostatique sur la croissance de cellules malignes et d'un rôle d'épurateur de radicaux libres. Aussi, toute réduction de son taux pourrait être crédité d'un effet favorisant la croissance tumorale, le développement de tumeurs mammaires (par défreination de la sécrétion d'oestrogènes), et/ou favorisant des altérations de l'ADN. Chez le rongeur exposé à des champs électriques ou magnétiques d’intensité variable, il a été observé  selon les équipes  une réduction de sa synthèse intra pinéale, ou une réduction des niveaux sériques,  mais aussi une absence totale d'effet et sans relation entre l’intensité de l’exposition et l’effet observé.

Chez le mammifère supérieur (l'agnelle, le babouin), aucune modification de la sécrétion n'a été retrouvée. Chez l'homme, les expérimentations menées chez des volontaires des deux sexes, à des niveaux de 10  à 140 µT en exposition aigüe ou chronique (plusieurs semaines) n'ont montré aucune modification  ni des niveaux ni du cycle de la mélatonine. ( Graham, Touitou, Hong).

4. Effets aigus chez l'homme

Les travaux expérimentaux ont étudié la perception du champ électrique. Il est perçu par 10 % des adultes à partir d'un niveau de 10 à 15 kV/m.

Les paramètres hématologiques, biochimiques et hormonaux ne sont pas affectés pour des valeurs atteignant 20 kV/m. Les tests d'exploration fonctionnelle cérébrale ne sont pas perturbés au moins jusqu'à 20 kV/m. En revanche, de légères modifications du rythme cardiaque ont été décrites dans une expérimentation sous 9 kV/m.

Le champ magnétique à la fréquence de 50/60 Hz est imperceptible au dessous de 1 à 5 mT (des valeurs qui ne sont atteintes dans aucune exposition humaine habituelle). Des magnétophosphènes (perceptions visuelles lumineuses sans conséquence pathologique) ont été décrites à partir de 15 mT (le seuil est de 5 à 10 mT pour une fréquence de 20 Hz) .

Les paramètres hématologiques, biochimiques et hormonaux et les principaux tests de performance mentale n'ont pas été perturbés par des expositions allant jusqu'à 1 mT.

Aux niveaux d'exposition résidentielle ou professionnelle habituelle, les champs électriques ou magnétiques n'induisent pas de modifications biologiques ou comportementales décelables.

5. Données épidémiologiques résidentielles

L'épidémiologie a l'avantage sur l’expérimentation d'apprécier, directement sur la population "en situation", l'effet de l'agent suspecté, en prenant en compte le mode d'exposition et sa durée, approchant la notion de « dose » et idéalement  d'établir une relation dose-effet. Les autres facteurs pathogènes éventuellement associés peuvent aussi être pris en compte quand ils sont connus. Elle connaît aussi des limites. Ainsi en matière de cancer, la longue période de latence entre exposition et survenue de la maladie, rend nécessaire des études rétrospectives où l'évaluation de l'exposition, plusieurs années après les événements, est délicate. De plus, l'exposition environnementale est un tout d'où il est difficile d'isoler, avec certitude, le facteur étudié (surtout si l'exposition est ubiquitaire, ce qui est le cas pour les champs électromagnétiques). Enfin, la mesure de l'exposition et donc la classification entre sujets exposés et non ou moins exposés est une donnée critique .Les résultats des études dépendent, entre autres, du critère d'exposition choisi : exposition cumulée, moyenne ou médiane arithmétique, ou géométrique., ce d’autant que l’expérimentation n’a pas permis d’établir un paramètre pertinent d’exposition.

Une vingtaine d'études épidémiologiques résidentielles ont concerné l'exposition d'enfants et, près d'une dizaine, l'exposition d'adultes recherchant l'hypothèse d'une relation entre exposition aux champs électriques et /ou magnétiques et survenue de certains types de cancer : leucémies et tumeurs cérébrales, cancers du sein.

La particularité des premières études est d'avoir estimé l'exposition à travers une classification intitulée "wiring code", ou code de câblage, qui hiérarchise les expositions selon la distance par rapport aux lignes et le diamètre des câbles.Dans une seconde période l’exposition a été soit calculée soit mesurée  L’étude suédoise de Feychting et d’Ahlbom  a ainsi pris en compte l'historique de la charge (ampérage) de la ligne. Dans ce cas, la part d'exposition due à d’autres sources de champ à l'intérieur du domicile, à l'école et au travail n'a pas  été intégrée.

 En revanche  dans la plupart des études  plus récentes ont  réalisé des mesures du champ magnétique pendant 24 à 72 heures au domicile. Et le dosimètre a été porté par les enfants pendants leurs activités à l’extérieur notamment scolaires

Chez les enfants, une association significative (risque relatif # 2) a été retrouvée lorsque le champ magnétique était estimé par le code de câblage. Les études mesurant directement le champ et notamment celles de LINET, Mc BRIDE et N. DAY portant sur plusieurs centaines cas de leucémies aiguës lymphoblastiques, n’ont retrouvé elles, aucune association.

 Deux méta analyses ont été réalisées  l’une par  Greenland et l’autre par Ahlbom. Elles retrouvent une association statistiquement significative ( odds ratio =2) entre leucémie aiguë lymphoblastique de l’enfant et exposition à un champ magnétique supérieur à une valeur moyennée sur 24h de 0,4µT.. C’st à partir de ces  données que le Centre International de Recherches sur le Cancer ( CIRC) a classé en 2001 les champs magnétiques comme cancérogènes possibles ( classe IIB) chez l’enfant exclusivement. L’absence de données en expérimentation animale  et cellulaire a certainement contribué à ce niveau de classement , puisque l’épidémiologie est confrontée  aux autres résultats expérimentaux.

La distribution des expositions résidentielles dans la population européenne a montré que pour sa très grande majorité  les niveaux moyens se situaient au dessous de 0,2µT . Au maximum, 0,5% de la population connaîtrait des expositions de 0,4µT ou plus, et dans ce groupe seulement 20% revient aux lignes de transport de l’électricité.

.Les études chez les adultes n'ont pas retrouvé d'association significative avec un type de cancer et notamment chez la femme le risque de cancer du sein.

 Il en est de même pour une association avec le risque de survenue d'anomalies congénitales, de troubles de l'humeur ( dépression, suicide), ou de maladies cardio-vasculaires . Certains études sont rapporté une association avec la maladie d'Alzheimer,et la sclérose latérale amyotrophique mais sans être convaincantes quant à la réalité d’un risque car elles ont été contredites par d’autres travaux.

6. Etudes épidémiologiques professionnelles

Elles ont succédé aux premières études résidentielles, mais dès 1972, avait été rapportée une incidence accrue de troubles fonctionnels tels que somnolence, asthénie, troubles de la libido, et céphalées chez des électriciens exposés à des champs électriques intenses dans une sous-station. Les premières études ont caractérisé l'exposition de façon indirecte à travers les intitulés d'emploi (job titles) ; les travailleurs de l'électricité étant supposés plus exposés aux champs que les employés d'autres industries. Les résultats, considérés dans leur ensemble, sont contradictoires car certaines études suggèrent une relation avec certains types de leucémies ou de tumeur cérébrales (le niveau de risque relatif variant entre 1,5 et 3), tandis que d'autres sont totalement négatives.

Une seconde génération d'études a amélioré la caractérisation de l'exposition avec des mesures sur les lieux de travail, et la prise en compte de l'exposition à des cancérogènes professionnels, qui, en tant que facteurs confondants, peuvent induire en erreur dans l'interprétation des résultats. Leurs résultats sont discordants.

Une étude suédoise a retrouvé une association avec la leucémie lymphoïde chronique, deux études nord-américaines ne retrouvaient aucune association de cette nature et l’étude franco-canadienne montrait une association avec un autre type de leucémie et sans relation dose-effet. Les données sur les tumeurs cérébrales sont également discordantes. En pratique, il n'est pas possible de caractériser un risque particulier à partir des plus récentes études épidémiologiques professionnelles, soit que ce risque n'existe pas[2], soit que l'estimation de l'exposition ait été imparfaite, car menée a posteriori ou n'incluant pas le paramètre biologiquement important. Le CIRC a classé les expositions de l’adulte résidentielles ou professionnelles en classe III c’est à dire que les études disponibles ne permettent pas de concluions quant à la cancérogénicité des champs électriques et magnétiques.

7. Valeurs limites d'exposition

En l'absence d'effets délétères démontrés et de relation dose-réponse, l'élaboration de valeurs limites d'exposition concernant les effets à long terme n'est pas scientifiquement fondée.

Seuls les effets à court terme basé sur l’induction de courants induits dans l’organisme avec un effet possible sur les cellules excitables : cellules nerveuses et cardiaques peuvent être pris en compte . L'induction de courants au sein de l'organisme est d’ailleurs à ce jour le seul mécanisme d’action démontré des CEM sur le vivant . L'O.M.S. a détaillé en 1987 les effets des différents niveaux de courants induits : les courants induits inférieurs à 10 mA/m² n'ont pas d'effet sur les cellules excitables du système nerveux et du myocarde.

Entre 1 et 10 mA/m²

effets biologiques mineurs transitoires

Entre 10 et 100 mA/m²

effets sur le système visuel et le système nerveux

Entre 100 et 1000 mA/m²

une stimulation des tissus excitables est observée

Au dessus de 1000 mA/m²

des extra systoles ou une fibrillation ventriculaire peut survenir

Ces niveaux ont été transcrits en valeurs de champs magnétique et électrique (en y incluant des coefficients de sécurité) permettant de recommander des niveaux sûrs d'exposition pour les travailleurs et le public.

Comité International de Protection contre les Radiations non Ionisantes 1998* : Recommandations (50 Hz)

 

Champ électrique

Champ magnétique

Exposition professionnelle

KV/m

µT

- continue (8 h/j)

10

500

Exposition du public

5

100

*ICNIRP : GUIDELINES FOR LIMITING EXPOSURE TO TIME-VARYING ELECTRIC, MAGNETIC, AND ELECTROMAGNETIC FIELDS (up to 300 GHz). Health Physics. 1998 ; 74: 494-522.

En juillet 1999, la Commission Européenne a publié une Recommandation sur l‘exposition du public aux champs électromagnétiques qui reprend pour l’essentiel les propositions formulées par l’ICNIRP.

En 2004 une Directive concernant l’exposition des travailleurs a été  votée par le Parlement européen qui fixe une valeur limite de 10kV/m pour le champ électrique et de 500µT pour le Champ magnétique à 50Hz. Cette directive doit être retranscrite en droit français  dans les quatre prochaines années.

L'approche ALARA (as low as reasonably achievable), utilisée pour les rayonnements ionisants, n'est pas praticable ici. En l'absence de relation dose-effet, il n'est pas possible de définir ce que serait une exposition aussi basse que raisonnablement possible.

Quant à la politique de "prudent avoidance", prônée par G. MORGAN, qui propose de réduire les expositions dans la mesure où cela est possible mais sans générer d'investissements coûteux, dans l'attente d'une certitude scientifique, elle connaît ses limites. Elle n'incite pas à mener une démarche de recherche qui "confirme ou infirme" la présence d'un risque, et introduit un critère décisionnel économique variable selon les pays qui le mettent en oeuvre.

8. Le cas des prothèses actives

Le fonctionnement des prothèses actives (cardiostimulateurs, implants cochléaires, pompes à insuline etc.) peut être perturbé par une exposition à un champ électromagnétique. Ceci pose un problème de compatibilité électromagnétique et peut aussi comporter des conséquences sanitaires. Chaque type de prothèse active est particulier. Pour les cardiostimulateurs, aucune interférence directe n'a été rapportée avec un champ électrique inférieur à 2 kV/m. En ce qui concerne le champ magnétique la probabilité d'un dysfonctionnement est faible au dessous d'un niveau de 100 µT.

9. Conclusion

Après plus de vingt cinq années de recherches, s'il existe bien des effets biologiques pour des intensités de champs électromagnétiques dépassant de plus de 1000 fois les niveaux d'exposition habituels du public, la démonstration d'un danger pour la santé n'a pas été apportée. Comme l'a écrit le rapport de l'Académie des Sciences des Etats Unis (Octobre 1996) : "les données actuelles disponibles ne démontrent pas que ces champs puissent être dangereux pour la santé. Plus particulièrement, aucune preuve consistante et concluante ne montre que l'exposition résidentielle aux champs électriques et magnétiques puisse être responsable de cancer, d'effets neuro-comportementaux indésirables, ou d'effets sur la reproduction ou le développement."

Les données plus récentes n’ont pas remis en question ces conclusions, elles ont cependant eu le mérite de préciser quelle pouvait être la fraction de la population concernée par des expositions atteignant ou dépassant 0,4µT. Dans ces conditions il est désormais clair que l’exposition aux CEM n’est pas un problème de santé publique.



[1] Les mécanismes de cancérogenèse sont complexes et imparfaitement connus, mais l'on peut très schématiquement retenir un stade d'initiation où l'ADN est altéré et un stade de promotion.

[2] L'absence de relation dose - effet plaide en faveur de cette hypothèse. De même l'amélioration  de la méthodologie des études entraîne généralement une augmentation du risque relatif, ce qui n'a pas été le cas ici.